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jeudi 5 juin 2014

La trouvaille d'une langue. Remarques sur Grand-mère quéquette (2003), Demain je meurs (2007) et Les Enfances Chino (2013), par Typhaine Garnier [Recherche - 3]


en lingua franca
en moi (bis)i


Christian Prigent ne parle en réalité qu’une seule langue : le prigentien. Même si elle peut se définir par ses manquements au français courant, cette langue a sa grammaire, son dictionnaire, sa morphologie. Reprenant le motif du début de Commencementii, les premières pages de Grand-mère Quéquette mettent en scène la réticence du locuteur à revêtir le costume quotidien de la langue.iii Cette difficulté inaugurale transpose dans la fiction la conception prigentienne de la littérature comme chance de sortie hors de la « langue de tous » et de la prose consensuelle.


« L’élocuté démantibulé »iv

Pour passer, tracer son « petit chemin », il faut casser.v La destruction n’est évidemment pas le but : comme dans les reprises parodiques de textes littéraires, à la fois irrévérencieuses et aimantes, il s’agit de réanimer la langue, ou plutôt d’y enfanter sa propre langue vivante.vi Cela passe
principalement par des procédés de simplification (suppression des déterminants, parataxevii) et de gauchissement (systématisation de l’à-peu-près, néologisation sauvage). Cristallisations par excellence de la langue, les proverbes et dictons se prêtent particulièrement bien à la distorsion idiote (« Je sème des pets, ça récolte du vent. Qui s’aime au lever décolle en pétant. Ventre qui essaime récolte tempête. », GMQ, 29). L’effet comique vient parfois désamorcer la gravité du propos : « comme on fait son livre on se couche dedans » (DJM, 350) : la déformation d’un dicton populaire « rénove » ici la comparaison solennelle - et banale - de l’œuvre avec le tombeau de l’auteur. Les expressions idiomatiques sont repeintes en comique par une approximation défamiliarisante (« Et que ça vipère du bout de languette », « Ça lui fait du beurre pour les épinards de la réflexion »viii), un développement extravagant (« T’es pas prêt d’atteindre […] au bas de cheville du pied de la jambe du corps dont la main par voie de génie nous a taillé ça », DJM, 21) ou une narrativisation burlesque (« Des anges défilent dans la tabagie en prenant du soin qu’on les repère pas, sinon : la canarde et crash au tapis. », DJM, 195). Ces déformations servent parfois également à contrer un excès de solennité ou d’émotion, comme dans la scène de la dispersion des cendres à la fin de Demain je meurs, où la  prosopopée de la « poudre » est une manière de contourner l’adieu pathétique : « Et la poudre parle […]. Pas boum, fait la poudre. Mais plutôt Adieu. » (DJM, 356).
Prigent multiplie aussi les incorrections comiques au plan lexical. Les néologismes par substitution de lettre (« cauchmerdait »), les déplacements de classes grammaticales (« sans vouage encore à nulle gémonie », « Pas besoin pour ça de nostradamer »ix) et tous les autres phénomènes d’approximation font dans le dos de la langue familière un double étrange qui la mime insolemment. C’est par exemple le portrait du père en costume « gris pierre de cérémonial avec un cache-nez tricoloré autour du ventru », ou celui de la grand-mère attendant le sabot « piqué dans du sablonneux » des « quidams en station de rôle patient ».x Mais les exemples de cet « éboulement » du vocabulaire sont à chaque ligne. Minée par cette drôle de « défaite des lexiques dans des sites syllabiques »xi, la langue réapparaît, c’est-à-dire qu’on la « sent », vivement, à nouveau, « passer ».

« Tambouille d’échos »xii

Prigent travaille la prose à l’aide d’un outillage a priori « poétique », autrement dit musical : rythme, son et souffle. Depuis Une Phrase pour ma mère, le pentamètre est nettement l’unité de base dans les romans.xiii Comme les « trois points » chez Céline, les pentamètres prigentiens sont les rails d’un « métro émotif » pas tout à fait droits mais « profilés spécial » : dans les Enfances Chino davantage que dans les romans précédents, un jeu de brouillage rythmique (variation des tempi) perturbe fréquemment la cadence et déconforte la lecture.xiv
Exceptés dans les passages constitués d’une volée de phrases nominales interrogatives ou exclamatives, l’écriture affronte ici la phrase communicante non en la démembrant syntaxiquement (comme chez Céline), mais en faisant jouer à l’intérieur d’elle, contre le sens, ce que Prigent appelle le « phrasé », ondulation sonore progressant par rebonds paronomastiques parfois parodiquement surlignés :

 
Sans compter le sens du goût du dégât que le gag engage [...]. (GMQ, 174)
Au creux du val rutila un ru plombé de marbrures [...]. (LEC, 15)

Il s’agit donc non seulement de déformer la langue, mais aussi de la « recharger » de tout ce dont l’exigence d’une communication optimale l’a expurgée. Elle se fait ainsi singulièrement remuante sur la cadence pentamétrique, multipliant rebonds et dérapages phoniques, calembours (« Dans le monde
en bas, je tartine mon pain. Dans le monde en haut, je peins ma tartine », GMQ, 43) et contrepèteries (« pour aménager [...] la paix des manèges », GMQ, 113).
La langue de Prigent se caractérise en outre par sa tendance à la prolifération, à la « dépense » dont l’excès se mesure à la disproportion entre la progression narrative (quasi nulle) et le volume verbal (exorbitant). L’effet est maximal dans les boursouflures lexicales (alignements de synonymes ou de termes d’un même champ lexical) qui suspendent le récit par des pauses de quelques mots (« liasses, brochures, opuscules, magazines, libelles, illustrés », « parfums, les effluves ! Ajoute aromate, fumet, exhalaison, bouquet. »xv), de quelques lignesxvi ou de plusieurs pages (la liste des « je crains », dans Grand-mère Quéquette, qui est un enchaînement de plusieurs séries lexicalesxvii). Des effets appuyés de paronomase viennent parfois accentuer le caractère mécanique du procédé énumératif, comme dans ce « portrait » de Fernandexviii 

 
Factotum des tracts, Fernande, rigole pas. Vizir des budgets. […] Aga des agrafes. Princesse des stencils. Pacha des brochures. […] Ministre plénipotentiaire de la cafetière. (DJM, 165)

Ou dans le passage évoquant la vie du père au lycée :

[…] seulaumonditude dans les crépuscules sous le péristyle, saudade en étude parmi le troupeau des fils de plus gros nippés confortables, spleen sous la férule des pleins de soi-même à cause des sapiences, vergogne de la crotte de ses origines collée sous ses socques […]. (DJM, 104)

Pas plus que les autres procédés prigentiens récurrents, l’énumération n’échappe d’ailleurs à l’ironie auctoriale :

 
hommage aux dames de peu de vertu, geishas, créatures, grognasses, courtisanes, apsaras, greluches, gourgandines thaï fines, ou masseuses massaï en pagne […], j’en dirai pas plus. (GMQ, 129)
Vois son opinel. Sa serpe. Sa faucille. Sa hache. Scie. Herminette. Égoïne comme guise d’attribut d’héroïne. Bref : toutes lames. (LEC, 115)


Dans les gloses lexicales à la manière de Brisset (« Tu cries tu fais meuh. Cri + meuh c’est crime : vacherie ici, boucherie là-bas. », GMQ, 56) ou du Leiris de Glossaire, la langue est véritablement prise pour objet - de craintes ou de délices. Le narrateur joue à se faire peur en écoutant les funestes échos de certains termes :

 
Mâchicoulis ou meurtrière. En voilà des mots ! Coulé-mâché-meurtri-mouru ! Ô, misère ! Fatum ! Vocabulourd ! (GMQ, 56)
Chino renfrogne. Renfrogne c’est pas loin de lorgne, grogne, rogne, vergogne à la trogne, pogne qui cogne. Un programme d’action, déjà, ces échos. Rien que du mochetouille. (LEC, 132)

Ou s’attarde dans la dégustation d’autres mots plus doux :
Et tout ça descend […] en mouvements mauves, dans le sentiment, plutôt, du mot mauve, ici presque rose, mais plus allongé, plus doux-indécis, avec une moue de lèvres au bout et un glissement de fade de bonbon vers de la glycine […]. (GMQ, 239).

 
Le déploiement des connotations que les mots véhiculent à même leurs sonorités met ici en oeuvre de façon ostentatoire un principe fondamental de l’écriture poétique, théorisé sous la notion d’ « auto-engendrement » du texte. Selon cette approche sensible et réflexive du vocabulaire, un mot peut être « corrigé » par un autre phoniquement plus juste :

Relent, on dirait, car ça bouge lourd. Remugle va mieux, à cause du moisi et glu, glauque, mou, glas. (GMQ, 369)
Jambons, non : trop gras. Jambes, genre fluet. Mais gambettes ferait trop gai. (LEC, 116)

Le « pouvoir producteur du signifiant » se manifeste par ailleurs dans l’exploitation de la forme concrète du mot (« Plein zOOm ! Eclair Z ! Et le ciel tombe M, avec ses hallebardes. Au mitan, deux ronds : O O. Soit deux yeux, et qui écarquillent. », DJM, 331), cas particulier d’un usage « excentrique » de la typographie qu’on trouve par exemple dans l’incipit aphone de Grand-mère Quéquette ou dans la  « marine » peinte à la fin de Demain je meurs avec « dessin vite fait, au fusain » : « vvvvvvvvvv // V V V V V V V // >>>>>>>>> // ‘ ’’’’’’ ,,,,,, …… // ^^^^^^^^. » (DJM, 334). L’excentricité typographique peut se charger d’un effet pathétique, comme celle qui figure  la « dispersion des cendres d’Aimé dans la mer » à la fin de la scène déjà évoquée :

 Pas boum, fait la poudre. Mais plutôt Adieu. Oui, oyons l’adieu : Adieu ! Adieu ! et même en juste, car c’est vertical :
A
d
i
e
u
!
.
.
.
(DJM, 356)


Dans cette gesticulation énergumène des mots et des lettres, la langue dévoile largement ses dessous. Jetant bas toute notion de hiérarchie des registres ou de « qualité » littéraire, la langue grotesque de Prigent fait entendre l’obscénité latente du langage, son fond refoulé (scatologique, inhumain) vers lequel tendent les diverses formes de régression mises en jeu dans l’écriture : comique « décervelé » des calembours triviaux, puérilité des refrains idiotsxix, bêtise de l’obsession sexuellexx. Babil dangereux, donc, puisque ce parti pris d’un anticonformisme « par le bas » conduit parfois l’écriture au bord de l’idiolecte, du mauvais goût ou de l’asphyxie intellectuelle, comme dans les verbigérations homophoniques du héros de Grand-mère Quéquette :

boîte de camembert boîte d’allumettes, boîte de calumets boîte de merde en barre, bite de cochonnet patte d’oie à lunettes […] C’est pas amulettes, pas plus carambars : pas laisser distraire. […] Camembert, ça m’embête. Allumette, tu m’emmerdes. […] Une paire d’allumoirs, un stère de cacambois, non, ça n’existe pas, t’affole pas. Y avait pas besoin de poire d’arrosoir. Une peau de panthère ? (GMQ, 344-347)


La langue est marrante

La force jubilatoire de la langue de Prigent ne tient cependant pas uniquement à sa dimension transgressive (transgression des normes linguistiques et des « convenances »). Un comique d’ordre purement verbal entre également en jeu : « ping pong » des finales (« dans les crépuscules sous le péristyle », « avec des petits trous de xylocope partout : ça fait d’époque »xxi), évitement d’une sonorité attendue (« breton […], ça campe matois, tout en bois, dans son quant-à-lui. », « Et toutes les suites à tire-larigot jusqu’à la fin des flageolets. »xxii), forme verbale cocasse (« Où le tourne-disque pour qu’on oie Tino faire son sirop en soprano dans Papa Noël ? », DJM, 131), ou encore métaphores filées jusqu’à l’incongru.xxiii
Avec l’association de termes fortement discordants, l’écriture de Prigent retrouve en outre le comique burlesque du couple mal assorti. La discordance syntaxique (ou zeugma) est un phénomène relativement rarexxiv (condition, sans doute, de son efficacité), tandis qu’abondent les violents contrastes de proportions et de registres : passage brutal d’une échelle à l’autre (« On ne marche pas sur ces eaux tentantes comme Jésus-Christ ou la nèpe d’eau dite filiforme»), télescopage des styles élevé et familier (« Câlins : tintin. Tout pour fin amor […]. Avec lui ce fut […] que joyau parfait de zéro papouille. »)xxv, hybridation burlesque du mythologique et du trivialxxvi. L’effet comique du rapprochement incongru est parfois renforcé par une union paronomastique, comme dans ces couples associant un mot familier et un mot savant : « traîner la savate sur la Terre Gaste », « en stabulation sur son tabouret », « Te v’là encore qui procrastines, finis plutôt ta tartine. ».xxvii
Procédé voisin, l’association de l’abstrait et du concret est un autre ressort majeur du comique prigentien. Plus précisément, elle consiste à évoquer une notion ou entité immatérielle comme s’il s’agissait d’une chose matérielle. On la trouve dans des tournures ponctuelles (« Et l’illimité te tombe dans les tubes», « on remonte sourire avec les bretelles de la courtoisie », « Dedans, la main d’angoisse farfouille et pince. »xxviii), mais aussi dans des développements comiques plus étendus,
comme l’allégorie de « la Vérité » dans Demain je meurs :

 
la Vérité, elle daigna poser sur lui son regard […]. Elle était venue du cercle des cieux en parachuté ou en vol glissé sur rond de soucoupe ou via satellite, on l’a jamais su. […] En tout cas ce jour Elle jeta sur lui son stock de dévolu. Or le dévolu de la Vérité, ça pèse, en kilos. D’où boum sur la tête. (DJM, 30-31)

Cette « matérialisation » bouffonne peut être employée à des fins de mise à distance (de l’émotion, de la gravité). C’est ainsi que la voix du père planant sur son linceul « descend de l’étage tapis par des escaliers » (DJM, 351), que l’ascension sociale avait fait naître en lui « l’amertume d’avoir déchu du bas en grimpant plus haut […] jusqu’à se cogner la tête au plafond, et les autres pas » (DJM, 111), ou que le narrateur évoquant son futur attachement au pays prévoit que « l’enraciné sucera [s]a moelle par régurgité de goût du clapier» (DJM, 170).
La pensée et ses effets, chez Prigent, ne se décrit ainsi qu’en termes concrets (« Le vacillé du pensement, ça a souvent des suites en somatisé. », LEC, 91). Demain je meurs et Les Enfances Chino offrent de nombreuses variations sur ce motif, qui sert de lien entre les deux plans simultanés du récit (le plan intellectuel ou « rumination » et le plan concret de l’effort sportif) :

c’est dur, le vélo, avec ces pensées qui cuisent leurs enzymes pour t’empoisonner le muscle de venin et t’handicaper à l’acide urique. » (DJM, 35)
Donc notre héros clopine en sabots ce qu’en ciboulot il rumine boiteux. Effet global : tant clopin que clopant et vice versa. (LEC, 91)

Ainsi, le prigentien n’est pas seulement une langue matérielle (sensible, palpable), c’est aussi une langue bouffonnement « matérialiste », et si elle n’est pas à proprement parler un « langage du corps », l’élément corporel n’en est pas moins convoqué partout où on l’attend le moins.

« bleu bave beige dans vert pâlichon et réciproquement » xxix


Contradictoirement à cette matérialisation forcée, la langue de Prigent est en même temps travaillée par le principe de dissolution qui la fait tendre à l’antédiscursivité et à l’abstraction. Si les passages où la langue n’est qu’une pure matière phonique sont raresxxx, la parole se situe en effet souvent en-deçà de la discursivité : la verbigération, la prolifération délirante d’hypothèses interprétatives, brisent ou suspendent fréquemment le déroulement sémantique. Grand-mère Quéquette s’ouvre et se fermexxxi ainsi sur une parole disloquée, non constituée en discours cohérent : celle de l’enfant qui émerge du sommeil, et celle de la grand-mère qui sombre dans la démence sénile précédant le sommeil définitif.  Mais ce qui apparaît dans l’incipit, c’est justement comment l’écriture atteint progressivement un certain seuil de « lisibilité ». Le lecteur, confronté d’abord à une surface in-signifiante (le tableau typographique des toutes premières lignes), assiste à la prise en masse du livre qui paraît s’auto-engendrer : après les signes viennent des syllabes, qui peu à peu coagulent en mots puis en segments de phrases de plus en plus longs)xxxii, et c’est en vain que le « pas-encore » sujet s’efforce de retarder l’incarnation et la représentation pour demeurer dans la paix de l’avant entrée en scène :

Non : pas djà coloris, encore un répit ! Reste, perte de vue ! Pas de dessin ! Des ombres de Chine ! Du suinté chuinté ! Du vague ! Du baveux ! Des bords ? Un Nord ? Un décor ? Pitié, pas encore ! Frottis de fresques ! Barbouille de gouaches ! Délices du presque ! Effort du pas-encore ! (GMQ, 12)

Le livre s’arrache donc comme à contre-cœur à l’informe, pour y retourner dans les dernières pages où le décor se dissout et où le sujet retrouve la nuit : 

Fini les dessins, tout défile ronron en brûlé de film inimaginable. Je plie moi sur moi, zéro bruit, tout cesse, rien comme figures […] timbres s’amuïssent, tout se décompose, tout va en pâleur vers zéro
couleur. (GMQ, 388-389)xxxiii


Pour autant, entre la lente coagulation initiale et la dissolution finale, l’informe demeure toujours prêt à surgir : après l’advenue des figures, du décor et du discoursxxxiv, le narrateur s’exhorte en effet à conserver toujours le goût de l’indéterminé et du chaotiquexxxv, autrement dit de tout ce qui défie et stimule l’effort d’expression :

Viens, babil dardeur, parle enfin à un ! Mais conserve en toi, tel le goût du crime qui pèse sur ton crâne, celui de l’espace évidé tremblant voluptueux énorme douloureux sans fond où t’avais tes spasmes en incognito […]. (GMQ, 30)

Des commentaires métatextuels explicitent (avec ironie) cette esthétique du flou :

À peine un dessin, d’ailleurs : des textures, avec des coulures façon balayé. C’est comme une peinture sans les figures. (GMQ, 243)
Plus de croisillons d’Écosse en fil régulier. [...] La macule, la barbouille. Les lividités à l’eau de Javel. La confiote perdue sans son étiquette. La tache et la coulure. Pointille et lavasse. La triste figure de l’infiguré. Ou même l’épouvantable de l’infigurable. Aucun dessin qu’on identifie bien. (LEC, 75)

Dans Les Enfances Chino, plus encore que dans les romans précédents, le décor - comme le héros qui y pâtit - a les plus grandes peines à consister et « fond » constamment en « pâlichonneries », « pâte guimauve ou chamallow »xxxvi, à tel point qu’on ne peut manquer de percevoir une touche d’autoparodie dans ces dissolutions / recoagulations successives :

Crachin indistinct sur ci et là. Effet général : dissolution. La matière du site fond dans un café lavassé riche en chicorée. Son contour file un coton mou. (LEC, 109)
Tout file vers un loin de grisaille et d’atonie. La menthe s’évente. Le chèvrefeuille moisit dans l’inodorant. [...] Tout coloris s’absente pastel cochonné puis lavasse de camaïeu de fond de pot. (LEC, 139)


On retrouve également dans tous les romans la même prédilection pour les sites louches, les « architectures démantibulées en moignons sur friches », les « trucs mutilés ».xxxvii Poétique des ruines version Prigent : 

Derrière : pouilleries de jachères pas nettes, confites en poussière parmi les ronciers. Terrains vagues, bon mot : rien qui obéisse à des précisions comme destinée d’utilisation et qu’y font les chiens sauf y divaguer perdus sans collier ? Gravats et gravelles et du résidu de démolition comme souvenirs de géologie. (DJM, 68-69)

Ainsi la plupart des choses font « pitié », tant leur aspect n’est pas, ou plus, à la hauteur de leur nom :

 
Puis tu pousses du bois démantibulé en forme de barrière. Ça ne grince pas : c’est mou, noir gras niellé vert, branloteux […]. Tu enfiles sentier, tu traverses la friche dénommée jardin où les choux à vaches ont la feuille en berne sur tronc de trognon. [...] Volets en vadrouille, torchis ou crépi, on sait pas vraiment : c’est tout couleur charbon. (DJM, 128)

Certaines formes demeurent non identifiables et l’interrogation reste sans réponse (« C’est quoi ce…? » est une tournure récurrente dans Grand-mère Quéquette) :

C’est quoi, ces boudins en ouate en forme de doigts, qui tachent en rougeasse les lividités ? Et ce bouffi-là, qu’a pris un nuage […] : c’est quoi, dites, c’est quoi ? Et c’est quoi encore que décape là-bas la brise au boulot à vif sur la nue ? (GMQ, 13)

Entre la mutité contemplative et la nomination « en bonne et due forme » (définitive, stabilisée), ces salves de questions égarées traduisent, en les aggravant burlesquement, l’angoisse et la difficulté de la nomination du monde, face auquel la langue se trouve toujours démunie.

Mais chez Prigent, tout objet, tout lieu peut aussi bien virer à l’informe, sous l’action dissolvante d’une écriture « phénoménologique », c’est-à-dire qui joue le jeu de la phénoménologie en substituant au nom étiquette un chaos de qualités sensibles éprouvées par fulgurances. Cette orientation réaliste ou « réeliste » de l’écriturexxxviii est énoncée au début de Grand-mère Quéquette dans l’espèce de « programme » esthétique et éthique que se fixe le narrateur : « Résolution six : rien qui porte un nom ! Résolution sept : dessine que du nié ! Résolution huit : pose-toi dans les choses avant qu’on les croque en figure de choses ! » (GMQ, 43). Ainsi l’écrivain, qui ne saurait évidemment sortir de la langue pour toucher le réel (« t’as rien que les mots, t’es en cage dedans. », DJM, 243), peut néanmoins récuser la « réclame du monde » (LEC, 77) en retardant les nomsxxxix :

[…] spots de fers qui grincent formés en outils, son cabosse ou gong à cause d’ustensiles, des clous dans du bois pas mal putréfié. Alors naissent cabanes, granges, soues, appentis. En décoration autour en guirlandes : arabesques et spires, volutes, tortillons et plessis de rames en stylisation. Si je mets des noms, surgit végétation : vigne, capucine et pois de senteur [...]. (GMQ, 199)
Ça fume, c’est plumes, plumeaux ou plumets. On s’en fout si piafs, faîtes arbustifs ou pennes de poule au cul du balai : seule texture importe et que ça ondule doux en sensation. (LEC, 42)

Une tournure stylistique prigentienne repose d’ailleurs sur le retardement du nom : le comparant est dit avant le comparé dont il est la « forme » : « de la galoche en forme de menton », « un tortillon en forme de nombril », « le tire-bouchon en forme de socquettes »xl. Selon le procédé dit de « singularisation »xli, la défamiliarisation passe souvent par l’évitement du mot attendu ou l’ignorance feinte du « bon nom »xlii. Prigent joue ainsi le jeu de Molloy (qui a oublié « la moitié des mots ») et cultive la maladresse périphrastique : les poupées sont « de l’hominidé miniaturé », Trochon est vu « dans le contre-jour comme les figurines qui passent en lanternes par sorte de magie ».xliii Le procédé se charge d’intensité émotionnelle quand le mot « oublié » est lié à un contexte douloureux. C’est souvent le cas dans Demain je meurs, où l’écriture contourne les « mots clés » du récit de mort :

 

du cubique moderne tout plat du plafond, kyrielle de fenêtres et beaucoup d’étages. Cette cage à connins surdimensionnée, c’est la Thébaïde où reclut papa. (DJM, 16)
Tu avanceras […] vers sorte de caisse longitudinale qui trône sur tréteaux drapés de linges blancs avec des poignées torticolées en argenté sur le côté. […] Tu poseras paumes sur la boîte en bois. (DJM, 228)

La défamiliarisation ou étrangéification du monde tient aussi parfois à l’adoption d’un point de vue inhabituel.xliv Du haut de son grenier, le héros de Grand-mère Quéquette voit ainsi en plongée
un carré lino gras avec des pattes de bois posées dsus. En banal : des meubles. […] Autres pattes parmi, dans de la chaussette. Ça, c’est de l’humain, au moins de la chair en rez-de-chaussée. On voit de l’étage que peau sur de l’os, en clair du genou avec de l’écorche […]. (GMQ, 76)

Plus loin, tête en bas, il peine à effectuer la mise au point :

Devant c’est trop grand et vraiment mal peint : on voit du bouillon informe de textures avec des soutaches de bestioles qui gâchent le lisse des surfaces, c’est qu’on est trop prêt : pas facile poser œil au bon milieu. (GMQ, 100)

Prigent dit « envier » la peinture et son « droit comme "naturel" au non-figuratif ». xlv L’écriture « phénoménologique » cherche à atteindre par des moyens verbaux ce pouvoir qu’ont les œuvres picturales de « déf[aire] la vision habituée que nous avons des choses – la vision que, précisément, nous appelons la « réalité » ».xlvi Dans ses « paysages » abstraits (aux couleurs et contours pas nets, qualités sans quantités, adjectifs sans noms), Prigent pousse parodiquement à l’extrême la picturalisation de l’écriture, avec des séries d’adjectifs de couleur en rafales :

Version chromatique : pervenche, prune, myosotis, lin, lavande, jonquille, paille, citron, cerise, framboise, coquelicot, chou, épinard, pomme, marron, orange, saumon, taupe, canard, corbeau, canari, chamois, souris. (LEC, 253)

Dans une rage d’épuisement des ressources lexicales, l’hymne aux « bleus que ton cœur chérit », à la fin de Demain je meurs, se termine ainsi par une avalanche de nuances :

Bleus cérule, marine, de Prusse, charron, horizon. Bleu azur, pastel, de Chine, outremer, cobalt, Trianon, lapis-lazuli, de France, roi, denim, cocagne du cru avant l’indigo venu des tropiques. Bleu pervenche, turquoise, ardoise, canard, Nattier, lavande, pétrole, saphir. Bleu naissant, bleu pâle, bleu mourant. (DJM, 332-333)

Avec cette palette est ensuite peint un décor dont les teintes se mêlent dans une néologisation voyante :

En bas, près : terre violette, c’est noir. Puis pétrolepruneprusse, pas loin d’émeraude, très près du corbeau. Au milieu : violetviolacévioline, épaissi violent. En haut, loin : cérulecobaltcanard puis opale, et pâle, naissant ou mourant. (DJM, 333)

Quand il y a des noms dans les paysages, ils ne viennent souvent qu’après les couleurs et textures :
S’il plisse mieux les yeux, il verra des gris tordus par le vent exprimer un ciel, des cuirs onduler oints de céladon de flotte en averses jusqu’à l’horizon [...]. (LEC, 15)
[…] pans d’herbus bouteilles sur ocres de terre en pente, Sienne ou Naples. […] Dedans : pointillés nombreux, en trous de cupules. Des vaches ont bu là, c’est trace de sabots. Entre large et près : plaque de caramels obliques, beurres d’argiles. Et le bonbon vert d’eau, le jus de fondu : la rivière. (DJM, 326)


Par la trouvaille d’une langue se renouvelle la diction du monde. Issu d’un rapport ambivalent à la langue maternelle, « à la fois gourmand, agressif et physique » xlvii, l’idiome prigentien fait ce qu’il dit : il brouille les structures linguistiques comme il « barbouille » le plan de la représentation. La couleur recouvre le dessin, l’écriture repousse le visible, car l’exact n’est pas dans le détail du trait, mais, au contraire, dans l’ « infigurable » de la sensation.xlviii Le retrait des formes est donc tentative d’approche « en plus près » de la matière du réel (« la poudre des choses sans dessins ni noms »xlix). Mais c’est avec un ironique surplomb critique que Prigent « résiste » ainsi à la représentation. Il se joue des affres de l’infigurable en aggravant autoparodiquement le défiguré ; à la dissolution générale, il oppose le poids d’une langue violemment matérielle (écholalique et animée par une « motilité non figurative »l) et matérialiste pour rire (une langue dans laquelle tout se concrétise, s’incarne ou somatise).
Typhaine Garnier




i « Liste des langues que je parle », L’Écriture, ça crispe le mou, Alfil, Neuvy-le-Roi, 1997, p. 30.
ii « pas facile en fait de redémarrer les conjugaisons, les temps de l’action, la sortie des viandes hors des peaux de nuit fourrées chocolat. On se décrasse pas en si illico. […] Si vous sentez pas cette difficulté, pas la peine de causer. », Commencement, Paris, POL, 1989, p. 12.
iii « Enfile pas trop vite me grincent mes dents. Chausse pas tout d’un coup. Reste un peu en nu pas tout à fait fait. », Grand-mère Quéquette, Paris, POL, 2003, p. 25).
iv GMQ, 201.
v « Sinon on fait jamais que répéter ce que tous ont gargarisé, c’est complètement usé comme articulé, on est tassé dans l’amassé depuis toujours cadenassé : assez ! assez ! – Et t’as pas peur de tout casser ? – On casse jamais que l’encrassé», Commencement, op. cit., p. 20.
vi « Je ne me place pas, en tout cas je ne me place plus depuis longtemps dans une perspective de surenchère paroxystique sur les sévices divers que les avant-gardes du siècle dernier ont fait subir à la langue. Il ne s’agit ni d’aller plus loin ni de faire pire. Il s’agit de « trouver sa langue » […]. », Christian Prigent, quatre temps, rencontre avec Bénédicte Gorrillot, Paris, Argol, 2009, pp. 171-172.
vii Voir par exemple la première page des Enfances Chino, Paris, POL, 2013.
viii GMQ, 241 ; LEC, 79.
ix GMQ, 24, 20 ; LEC, 241.
x GMQ, 210, 36.
xi Commencement, op. cit., p. 66.
xii « C’est ça que je veux comme événements. Pas les actions ou peu. Le jus des bouches, qu’on touille, tambouille d’échos. », ibidem, p. 75.
xiii A l’exclusion du Professeur, que Prigent désigne d’ailleurs plutôt comme un « récit ».
xiv Par exemple : « Le bol répandu, on aura du moche sur la toile cirée avec les traces de gras et les égratignures au couteau de table. » ( LEC, 75), soit un rythme 5/5/5/6/6/5/
xv DJM, 317 ; LEC, 246.
xvi Par exemple la liste des liquides dans Les Enfances Chino : « Asphyxie noyé en jus soupes potages de boues pleurs dégobilles sirops laitances glaires vomis de pinards foutres pipis mazouts sueurs suées coliques sangs cailles sempre da capo ! (LEC, 144) ; ou l’énumération des différents types de cuisses dans Grand-mère Quéquette : « Les grasses, les maigres, les pâles, les bronzées, les velues, les lisses, les duvetées, les variqueuses, les veinées bleu, les marbrées rouge, les roses cochon, les noires plus rares. » (GMQ, 214).
xvii Comme celle des instruments et outils : « Je crains le croc, le couperet, la ou le esse, la feuille et le fusil […]. Je crains la binette, la houe, la bedane, le bec, l’ébauchoir, la hie, l’herminette, surtout la varlope vu rime à salope […]. » (GMQ, 135).
xviii La version antérieure de ce portrait, qu’on trouve dans Une Phrase pour ma mère, ne présentait pas ces jeux paronomastiques (cf. Une Phrase pour ma mère, Paris, POL, 1996, p. 153).
xix « j’va t’cou / j’va t’cou / pélaqué / pélaqué / la qué-la quéquette / le ki –le kiki/ la zé-la zézette. » (GMQ, 176).
xx « Rien qu’à s’informer sur ses attributs, on a des instincts d’acabit semblable en cochonceté car ses chatons mâles sont pédonculés on voit le topo. » (LEC, 249).
xxi DJM, 104 ; LEC, 200.
xxii DJM, 129 ; LEC, 111.
xxiii Par exemple, l’ouverture de l’armoire fait la lumière « sur trucs et bidules en rang quart de poil pour passer revue et le petit doigt, s’ils en avaient un, sur ce qui serait couture du falzar (s’ils en avaient un) » (DJM, 283).
xxiv On relève tout de même, dans Demain je meurs : « maman en pétard et petit Bibi »  et les médailles « que Mémé astique avec de l’amour et le vif argent » (DJM, 194, 292).
xxv DJM, 326-327, 243.
xxvi Voir par exemple la « scène de ménage » dans Les Enfances Chino, pp. 94-105.
xxvii DJM, 207 ; GMQ, 100 ; UPPMM, 35.
xxviii DJM, 40, 171 ; LEC, 139.
xxix GMQ, 100.
xxx Ce ne sont que quelques salves d’onomatopées comme « Crric crrac slurp. Frroutt frroutt pffuitt. » (GMQ, 50).
xxxi Se ferme presque : deux courts chapitres suivent en fait le discours incohérent de la grand-mère.
xxxii Cf. Christian Prigent, quatre temps, op. cit., p. 143.
xxxiii Même motif dans les dernières lignes des Enfances Chino : « Mais un gros doigt mou de nimbus touille les poudres dans l’humeur des souffles qui montent des herbages. Ce lavis de Chine noie les derniers dessins. Noir. Ainsi disparaît le presque ado Chino » (LEC, 563).
xxxiv « plaf, écran total ! Ouille, les précisions ! Boum, panneau pétant de déclarations ! Ça s’appelle réel, paraît, ce frontal de lamentations. » (GMQ, 13).
xxxv J’aimais Confusion et ses ciels brouillés. […] J’aimais Tour de con joué à tout contour. J’aimais d’amour Epiphanie et Agonie. […] J’aimais Vagabonde en tenue pelure dans les transparences. J’aimais Miss Trempette dans les tromperies. […]. Oublie jamais ça. Cochon qui s’en dédit, pareil qui s’en rit. (GMQ, 59)
xxxvi LEC, 109, 183.
xxxvii LEC, 76-77, 64.
xxxviii Le parti pris de l’informe est effectivement lié à l’exigence réaliste, le non flou étant pour Prigent signe de fausseté : « Car l’impression juste comprend l’impression qu’on n’imprime rien de figure exacte si manque le flou qu’on sent comme effet principal du tout » (LEC, 253).
xxxix « c’est dans le mouvement de dispersion des significations habituées et fixées […] que le monde en tant que démesuré, irréductible à la prise symbolique, surgit dans sa vérité et sa vitalité propre : au moment même où les figures qui le dessinent et les noms qu’on lui donne vacillent et s’évanouissent dans une sorte de poudroiement sensoriel et abstraitement irisé. », Ch. Prigent, Le Sens du toucher, Sainte Anastasie, Cadex, 2008, p. 43.
xl GMQ, 215 ; DJM, 313 ; LEC, 259.
xli Cf. Chklovski , « L’art comme procédé », Théorie de la littérature. Textes des Formalistes russes, Seuil (Tel Quel), 1965.
xlii « C’est quoi le bon nom ? où qu’est l’étiquette ? »,  Une Phrase pour ma mère, op. cit., p. 66.
xliii GMQ, 37, 280.
xliv Ou le choix d’un sens autre que visuel, comme dans la description olfactive de l’hôpital dans Grand-mère Quéquette (cf. GMQ, 369).
xlv « L’écrivain que je suis jalouse les pouvoirs de la peinture : il envie sa frontalité impérieuse, le don de l’œuvre dans l’instant du regard, le droit comme « naturel » au non-figuratif, l’évidence du souci formel, quelque anecdotique que soit le propos iconographique. Tout poète rêve de porter son geste verbal à un degré de souveraineté esthétique aussi condensé et rapide, composé et cursif, sensoriel et abstrait. », Ch. Prigent, Le Sens du toucher, op. cit., p. 7.
xlvi Ch. Prigent, Ne me faites pas dire ce que je n’écris pas, op. cit., p. 171.
xlvii Ch. Prigent, La Langue et ses monstres, Saussines, Cadex, 1989, p. 184.
xlviii « L’oeil, ça vous cantonne dans de la distance. Avance, va tâter. Immisce en plus près. Vois plus rien, éprouve. » (LEC, 27).
xlix GMQ, 57.
l Préface à Zanzotto, Les Pâques, Caen, Nous, 1999, p. 8.

jeudi 17 avril 2014

[Texte] Bruno Fern, Style alive [Hommage à Christian Prigent - 2]



 
Christian Prigent au café de Flore en 2000

« D’évidence, ceux qui écrivent sont faits de la matière des livres qu’ils ont lus. »

(Christian Prigent, in Christian Prigent, quatre temps / rencontre avec Bénédicte Gorrillot, Argol éditions, 2009)



[style alive] Bruno Fern




> au prochain top, parlant dans sa bouche avec ça qui file, vit aux dépens de ceux qu’il écoute, histoire d’en être ou d’y passer


dans les deux cas c’est de l’impur pas dur, du putrescible ma non troppo, une source active en émissions, aux écoulements réalisés en temps réels : sucs & liqueurs au goût variable, à la couleur virant par toutes


vlà qu’il se coupe au moins en 8 pour vous servir au mieux d’sa forme – et mille excuz à cette boule qui laisse des traces ici et là et pas qu’en ADN sur les divans, muqueuses, brouillons and co


en l’an énième de son âge, quand il se roule dans la syntaxe, qu’il se dérègle en self les sens, bref, dès qu’il se met en torche pour l’éclairer sa chute on line, pour la mater sous les coutures en désaffublé collants chair et en os scié de s’y retrouver diffracté


faut bien admettre qu’i se paie souvent le plafond (pour ne pas le nommer)


et, sur le coup, enrage en expressions de tout calibre la fourre d’autant à rabioter de quoi en faire suffisamment, en enfiler encore 2-3 avant de devenir un parfait inconnu à ses propres yeux 


au fond, s’opère lui-même en continu, ce qui n’est pas toujours coton (y compris dans les oreilles) et présente des risques d’éclatement si l’on en croit la plupart des notices


persiste tant que se peut dans son son jusqu’à plus rin à voir, circule et intensément en sus, ne pourlèche pas qu’une fois une seule le tour complet du cadran où il sera exactement >









jeudi 27 mars 2014

Plumes d'autrui : les bibliothèques de Grand-mère Quéquette et Demain je meurs, par Typhaine Garnier [Recherche - 2]

Plumes d’autrui

les bibliothèques de Grand-mère Quéquette et Demain je meurs




L’écrivain, comme dit Michaux, a affaire au « rythme des autres ». Version Prigent : « on n’est pas seul dans son estomac » (Demain je meurs, Paris, POL, 2007, p. 23). À la fois subie et orchestrée, cette diversité polyphonique n’est qu’un aspect du vaste recyclage qui est depuis les débuts au principe de l’écriture de Prigent. Celle-ci cherche en effet, contre l’illusion d’un rapport direct au réel ou à l’intime, à exposer et accuser le caractère médiat de notre rapport au monde. Prigent n’a cessé d’insister sur ce point : le sujet de l’écriture « n’est pas la vie nue, la pure substance de l’expérience, un monde indemne de langage », mais « la vie en tant que toujours-déjà, et de part en part, symbolisée. C’est-à-dire parlée par des récits, composée par des images, pensée par des savoirs ».i Pour une sensibilité particulièrement nourrie d’œuvres picturales et littéraires, il ne peut y avoir de représentation juste de l’expérience sans intégration de ces multiples prismes à travers lesquels le monde lui apparaît.

Dans les derniers romans, certaines de ces présences étrangères sont signalées par des « indices ». Il peut s’agir d’une référence à l’auteur (l’indication « en style marotique » conclut par exemple la réécriture d’une épigramme de Marot, Grand-mère Quéquette, Paris, POL, 2003, p.116), au titre (« c’était bucolique » referme la réécriture du début de la première Bucolique de Virgile, GMQ, 305) ou encore à des personnages de l’œuvre convoquée (par exemple les Rannou de La Charlézenn d’Anatole Le Braz, GMQ, 115). Indice plus discret, la seconde réécriture de Britannicus (« Pensée illico […] avec du retour vers les incipits : quoi ! tandis que Bibi s’abandonne au sommeil », GMQ, 277) invite à relire plus attentivement l’incipit du roman, où le vers de Racine était nettement plus défiguré : « Quoi !!!!!!!!!!!!! / Tu dis que ?…………………Nerfs ? / On sapant ?????? Tonnes ????? D’eau ????? Soleil ????? » (GMQ, 11). Et bien sûr on notera la présence des indications bibliographiques à la fin des deux romans (la « bibliographie succincte » de Grand-mère Quéquette suit même le découpage du roman en sept parties).
Il suffit de parcourir ces bibliographies pour voir que Prigent ne s’impose aucune restriction quant à l’époque ou à la « dignité » (culturelle, intellectuelle, esthétique) des matériaux susceptibles de venir nourrir l’écriture. « Les proses sont des éponges capables d’absorber »ii aussi bien Pline ou le « Cantique des cantiques » que « Perrine la servante » ou « Bonjour ma cousine ».iii En réalisant ainsi l’ambition rabelaisienne de « fécondation réciproque » de la culture savante et de la culture populaireiv, l’écriture trace en même temps un autoportrait culturel. Elle se fait le reflet d’un univers intellectuel singulier, marqué par l’influence de deux bibliothèques : celle de la mère, fréquentée enfant (« la comtesse de Ségur, Jules Verne, Jack London, Fenimore Cooper, les feuilletons populaires et les bandes dessinées du début du XXe siècle »), et celle du père, découverte plus tard (« bibliothèque gréco-latine, écrits politiques et «grands classiques » »… plus quelques « modernes »).v
L’effet comique produit par le caractère disparate des références est souvent accentué par une savante hybridation d’hypotextes hétéroclites. Ces compilations intertextuelles produisent des « monstres » littéraires, comme cet art poétique parodique où l’on passe sans transition de Du Bellay à Boileau puis Rabelais :
Tout concitoyen […] ne vomira plus de fond d’estomac paroles de boue comme les ivrognes, ni ne les étranglera de gorge comme grenouilles, […] mais fera patois en grandeur de style, mots magnificents, sentences gravées, audace et variété des figures et autres lumières – en bref : énergie et cet esprit que les vieux Latins, m’a dit mon papa, nommaient genius et c’est bonne mesure pour goûter d’oreilles. Et lettres aux amis, requête aux impôts, odes et virelais pour la bonne amie, […] il les remettra sans cesse au métier, souventes fois les limera et à la manière des ours, à force de lécher, leur donnera forme en façon de membres avec le limpide et bonne grammaire et les élégances. (GMQ, 164)

Parodia sacra et carnaval des classiques

Chez Prigent le dialogue avec la bibliothèque s’établit pour une grande part sur le mode de la carnavalisation. Rabaissement systématique du spirituel au matériel et du métaphorique au littéral, suspension momentanée de l’intelligence et du savoir historique : la réécriture se présente alors comme une lecture ostensiblement idiote de textes prestigieux. Comme tous les textes fondateurs, la Bible constitue pour la parodie une cible privilégiée.vi Les références bibliques abondent dans Grand-mère Quéquette : découpage du roman selon les heures liturgiques, réécriture carnavalesque des psaumes de pénitence (p. 149), parodie des prophéties apocalyptiques (p. 153-157), etc. Dans Demain je meurs, le deuxième chapitre évoque la question du rapport au père à travers la parodie d’un passage de l’Apocalypsevii et le développement bouffon des troisième et quatrième Commandementsviii. La parodie repose principalement sur la transposition en registre familier et l’ actualisation incongrue de l’hypotexte par l’emploi d’un jargon technologique moderne :
La voix : à bas la pierre modelée chair ! À bas les corps figés en plâtre ! À bas types en bronze, albâtre ou airain ou PVC sulfurisé ! À bas quidams en argile, mecs et meufs en stuc […] ! Prosterne pas devant aucune statue, […] dont celle de ton père en militaire sur son dada […] T’agenouille jamais devant mannequins coutelés en bois ou fondu métal ou coulé plastique ou thermoformés en celluloïd ni reconstitués par spectre hologramme ou effet spécial 3D sur console. (DJM, 23-24)
Même rabaissement trivial du sacré dans cette compilation parodique d’épisodes de l’Exode :
Et si c’est la manne de rosée que crache celui qui sait tout, ou son délégué, comme grenadine ou la menthe à l’eau par les meurtrières ou mâchicoulis du donjon des nues, ça va avant tout gadouiller ma raie peignée au milieu et je vois déjà mère qui furibarde. Ou s’il libérait de son colombier cailles, pigeons ou merles ou même sauterelles, termites ou criquets pour te satisfaire les appétits ? Crains plutôt la merde : piafs ça chie beaucoup […] (DJM, 22)

Mais plus encore que de textes sacrés, l’écriture se nourrit de cet autre terreau naturel de la parodie qu’est le panthéon littéraire. Sur ce « versant ensoleillé » de l’intertextualitéix, les réécritures sont aisément perceptibles pour qui « connaît ses classiques » (ses anthologies de littérature), d’autant plus qu’elles se limitent souvent aux débuts et fins de textes célèbres. Elles mettent en œuvre les mêmes procédés de carnavalisation que la parodia sacra, dont le principal est la trivialisation stylistique et thématique du modèle. C’est ainsi que la « Chanson d’Aimé (enfant) » traduit Lamartine en version comptine : « Ah, pouce ! / Pédale douce, / Vitesse du temps ! / Attends ! » (DJM, 102). Dans le « refrain en autoportrait » chanté par le héros de Grand-mère Quéquette en proie à une crise mystique, la « terrasse » où prie le saint des Illuminations (« Enfance, IV ») devient une vulgaire « paillasse » (« Je fais le saint sur ma paillasse »). Puis, couronnant la crise, la célèbre exclamation du Spleen de Parisx est ramenée à un registre plus quotidien : « n’importe où, pourvu qu’hors du monde. Autre : partout sauf ici où ça pue cuisine. » (GMQ, 43). Dans l’épisode du passage du Tour de France, l’habit du gros « moinillon » venu acclamer les héros ressemble singulièrement à celui du « mendiant » de Hugo (« Sur sa bure on voit des constellations mais ce sont étoiles de giclées graillon. », GMQ, 212), et, lors d’une crevaison, on reconnaît « l’Albatros » sous le costume cycliste :
Et que ça claudique au bord du fossé, avec la démarche comme sur des cocos. Géant de la route descendu bécane égale petit vieux à l’os arthritique. C’est à cause surtout, m’informe Grand-mère en veine de technique, des plaquettes fixées pour les cale-pieds sous leurs escarpettes de compétition. Le poète l’a dit : les pompes de géant empêchent de marcher. (GMQ, 228)
La parodie procède parfois à la réduction radicale du modèle. C’est ainsi par exemple que « La conscience » d’Hugo se trouve malicieusement réduite à l’essentiel :
Tu y verrais […] l’œil seul, l’œil unique, le soleil en haut, pareil en bas, vissé au nadir dans la coupe de vase comme en fond de tombe et pendu au croc du zénith des cieux. Il te forcerait à voir en dedans de toi comme dehors partout et il te dirait : qu’as-tu fait de ton père ? (DJM, 223)
Inversement, c’est un Britannicus vidé de son contenu que se récite le narrateur de Grand-mère Quéquette, qui ne retient de la tragédie que les deux premiers et le dernier versxi : « quoi ! tandis que Bibi s’abandonne au sommeil, faut-il qu’ils soient tous là à guetter son réveil, et que Pluton au ciel cochonne les abîmes, sur le parage où flotte odeur de sang de crime ? » (GMQ, 277).

La bibliothèque latine est elle aussi familièrement revisitée. On reconnaît par exemple un pastiche d’Ovide  dans la métamorphose de la 2 CV en hyène fétide :
Là où fut capote, peliçon advient, on sait pas encore si décapotable. […] L’essieu huile ses coudes, le pneu déchiquète : tiens, voilà dla patte avec de la griffe pas en caoutchouc. Là où furent phares, gare ! : crocs jaunes d’après festins, ivoires oints de pourri. (GMQ, 82-83)
Plus loin, Prigent complète un tableau champêtre avec le début de la première Bucolique de Virgilexii, dans une transposition vaguement homophonique : «  Plus haut sont des scènes de vie pastorale dans l’air agricole et Tityre patule pittoresquement sous tegme de fage : c’est très reposant. » (GMQ, 100). Le même texte fait ensuite l’objet d’une réécriture moins reposée (c’est une lettre de Trochon à Mona), mélange de transposition homophonique du texte latin et de parodie carnavalesque :
Sous les fleurettes, de la pastourelle dit qu’il lui propose de la mener nue (deux fois souligné) au frais du bocage et que comme gage c’est d’oser paraître au petit berger ému du pipeau. Puis avec l’infant de se patuler sous le flegme ami d’un fage empourpré par ces voluptés. Après : le babil et agaceries dans les aiguillettes, sous l’œil amoureux de Trochon son Pan à elle en privé, pas loin dans la haie grimé en mouton. (GMQ, 305)

Bien évidemment, une telle désinvolture envers les « maîtres » ne s’explique pas uniquement par le goût de la provocation (qui cela pourrait-il choquer ?). La parodie potachique chez Prigent n’a pas non plus d’intention critique : le rire ne s’exerce pas aux dépens du texte parodié mais naît du contraste entre l’hypotexte noble et la langue triviale et anachronique de l’hypertexte. À l’inverse, l’idée selon laquelle la parodie, loin de détruire, renforce et consacre le modèle n’est pas plus pertinente ici. La relation parodique chez Prigent est plus complexe, dans la mesure où la réécriture carnavalesque a justement pour ambition de dépasser cette « consécration » pour produire une véritable « réanimation » des œuvres parodiées. Il s’agit, par la distorsion parodique, de défamiliariser les classiques et de faire en sorte qu’ils continuent à travailler l’écriture et à être travaillés par elle.xiii À propos de l’utilisation de tableaux dans ses romans, Prigent explique qu’il cherche à « déjouer la solennité » du modèle en le réanimant de façon farcesque.xiv Il en va de même avec les œuvres littéraires : la désacralisation est aimante, et la véritable cible de l’écriture est donc moins le corpus classique que la vénération stérile de ce corpus. Prigent tient d’ailleurs à distinguer sa propre relation à la littérature du passé de celle des spécialistes comme de celle qui caractérise selon lui les écritures « postmodernes ». S’il estime important de « continuer à lire les anciens autrement que dans une perspective universitaire archéologique »xv, il déplore par ailleurs dans certains aspects de la littérature contemporaine une perte de « profondeur » dans la pratique de la réécriturexvi ainsi qu’une tendance au déni de l’héritage.

Salut les intimes


À côté du jeu carnavalesque avec les références religieuses et les auteurs consacrés, le dialogue se noue également avec ces auteurs qui, par la forme ou l’esprit, ont stimulé le désir d’ « en faire autant ». Ainsi s’installe dans les romans de Prigent une bibliothèque personnelle – celle des « modernes » que le fils livre aux foudres du père fictionnel dans la « leçon de littérature »xvii. Il peut s’agir de modèles d’écriture parodique : on a alors affaire à des réécritures doubles où la parodie de textes sérieux s’écrit à la manière de Rabelais, Jarry ou Queneau. Dans l’épopée des « Douze », par exemple, la parodie de la poésie communiste prend l’accent de la poésie mirlitonnesque de Jarryxviii (« Un intermède épique à Saint-Brieuc-des-Choux./ Le monde entier parvient même au fond de ces trous. », DJM, 71) et du Queneau de Chêne et chienxix (« Ton père en ce temps-là était adjoint au maire […] / Emilienne activait au Secours populaire », DJM, 83). Ces deux « maîtres » du décervelage sont par ailleurs fréquemment convoqués : « La passion considérée comme course de côte » (qui figure dans l’Anthologie de l’humour noir d’André Breton) est un hypotexte privilégiéxx ; dans Demain je meurs, le début de l’ « intermède 1 » (à la « Fêt’ de l’Aub’ nouvelle ») xxi rappelle malicieusement la « chanson du décervelage » (en surimpression du « défilé » de Boris Vianxxii). L’affreux sadisme des bonnes gens dans Grand-mère Quéquette connaît des raffinements typiquement ubuesquesxxiii :
Mais pour que la fête soit complète, faudrait ouverture avec braillements et cris de navrés comme auparavant sous tenailles et fers ou un temps sur roue avec cassage d’os et distraction des jointures de membres par trait de roncin : ça serait bien bon […] (GMQ, 117)
Les élucubrations métaphysiques de comptoir à la Queneauxxiv, les désopilantes verbigérations spéculatives de Brissetxxv et les zuteries rimbaldiennesxxvi complètent le programme de cette « cure d’idiotie ».
La bibliothèque personnelle dont se nourrissent les romans de Prigent n’est pas cependant entièrement bouffonne. Un autre Jarry, celui de l’Amour absolu, s’invite par exemple dans ce paysage aux janiques « renforcées d’abeilles pour piquer plus dur » et fougères « avec les pustules d’orange au verso » (DJM, 18).xxvii La Bretagne littéraire de Prigent porte aussi les traces de Louis Guilloux, dont les personnages et les drames « défilent » dans cette vue de la baie de Saint-Brieuc à vol d’ULM :
T’es là, mêmes endroits, figures ça défile. Tu entends Maïa, Maïa la goton, après le suicide, crier : « Quê qu’t’as fait là ! Pour de quoi ? » […] Arrache. Décolle. Survol toute vitesse en panoramique. […] Piqué sur Palante, la petite bicoque vers la Croix-Pichon. Vol plané grand large sur falaises d’Hillion, les grèves, la Granville. Un coup de fusil : Palante pantelant, collé dans la vase. Rase-motte ULM : Pigeon-Blanc, maçons, les compagnons. (DJM, 170)
Lexicalement, thématiquement, rythmiquement, Rimbaud est quasi omniprésent. Conséquence d’une imprégnation profonde, il s’agit d’une forme d’intertextualité non concertée, c’est-à-dire qu’elle ne consiste pas dans la transformation délibérée et massive d’un autre texte mais fonctionne par réminiscences et signaux. On retrouve par exemple dans Grand-mère Quéquette la « nichée » de chiens de l’ « Alchimie du verbe » (GMQ, 86), les « barbes d’épis » des « Assis » (GMQ, 188) et la « hyène » d’Une Saison en enfer (« Tu resteras hyène, récrie le démon », GMQ, 88). On entrevoit le « paysage » de « Mes petites amoureuses »xxviii, décomposé et recomposé autrement : « Ces pâles hydrolats s’en vont en paresse vers le haut du fond où bleu bave beige dans vert pâlichon et réciproquement. » (GMQ, 100). Mais c’est aussi toute la comédie de la régression (l’aspiration à l’animalité ou à la fusion avec la matière), thème récurrent chez Prigent, qui révèle l’inspiration rimbaldienne.xxix Réponse bouffonne à l’interrogation de « Mauvais sang » (« Quelle bête faut-il adorer? »), l’ « éloge du cochon » dans Grand-mère Quéquette (p. 139-140) joue ainsi la farce de la fascination pour la condition animale. Même jeu dans Demain je meurs, lorsque l’enfant reprend haleine au bord du Doux-Venant. L’écriture compile ici plusieurs poèmes de Rimbaud : cela commence par une amplification du « Mangeons l’air » des « Fêtes de la faim » : « Enfin de l’air. […] Salut, dehors ! Re-bonjour espace ! Un godet, une tasse , tout un bol : goinfrons ! » (p. 206). Viennent ensuite des bribes de la « Comédie de la soif » : « Va fondre où elle fond. Va où le ru gît au pied des osiers. Va où l’eau pourrit sous l’affreuse crème » (p. 208). Puis une réduction des « Fêtes de la faim » (« Hume, tâte et mange. La terre et les pierres. Les rocs, les charbons, le fer. Le venin des lis. », p. 209) se poursuit en parodie du « Dormeur du val » (« Poil des graminées. Aigre du cresson. Humm très bon. Colle face contre terre. Que la glèbe t’englobe. »), dont le premier vers déformé résonne au début de la « Chanson » : « La glèbe, c’est un trou / de vulve velue où » (p. 209).
Mais les « salut ! » vont aussi à Artaud (« ça sent l’être » xxx, GMQ, 27, 35), Beckett («Mais n’anticipons pas » ; « fin première bobine »xxxi, GMQ, 31, 48), Novarina (« Il le fait », GMQ, 56, 260), etc. Ce sont parfois les auteurs eux-mêmes que Prigent convie comme figurants dans son roman : sur la scène de Grand-mère Quéquette apparaissent ainsi, burlesquement travestis, un Cadiot déguisé en « Monsieur Karim, en fait c’est Olive, ou voire Olivier, en costume de planches devant et derrière, et lui compressé en sandwich dedans », suivi de Novarina (« le ptit Valère, mioche savoyard qui corne son babil de classe dangereuse pour nous astiquer âtres et cheminées », GMQ, 102). S’ils n’apparaissent pas sur la scène de la fiction, Breton (« Dédé Breton », GMQ, 54) et Jarry (« l’oncle Alfred », GMQ, 226) sont traités avec la même familiarité.

L’écrit qui ne colle jamais


Envisagée à présent dans ses rapports avec le projet narratif, la réécriture s’enrichit de nouveaux emplois. Comme les tableaux, les textes étrangers viennent parfois lancer ou relancer le récit, en le faisant avancer « sur des bases autres que mimétiques ou expressives».xxxii C’est ainsi que Grand-mère Quéquette est « lancé » par une distorsion du premier vers de Britannicus. Les textes extérieurs sont des «réservoirs de figures, de sensations, de scènes »xxxiii  convoqués pour reformer l’expérience et la rendre étrangère : le « vécu » est retaillé selon d’anciens patrons présentant une certaine affinité avec les motifs biographiques. Bien plus que l’intertextualité sous forme de clins d’œil et de citations ponctuelles, ce recyclage donne lieu à des réécritures assez étendues.
L’entrée en scène de Mona-Aurore, dans Grand-mère Quéquette, est ainsi une transposition burlesque de « La Charlézenn » d’Anatole Le Brazxxxiv. Les Rannou du récit original sont devenus les frères Blivet et l’innocente Marguerite Charlès « l’onzelle Aurore », dont le portrait est recomposé à partir d’éléments tirés du texte de Le Braz :
l’œil pur couleur d’avril, teint clair couleur de mer. S’en sauve souple et belle comme sainte de chapelle, cavale sous crinière de buisson ardent flammée de violine avec dessous des dents d’éclat de dix-huit ans et du relief ou c’est épatant surtout vers l’avant […] et son pas sonne gai sur le granité malgré la bouillasse […]. (GMQ, 111, nous soulignons)
La réécriture procède à des dégradations stylistiques qui trivialisent et modernisent l’hypotexte : « on salue la meuf » « moumoutée d’hyacinthe », « l’héroïne sex bomb dla paroisse » (GMQ, 111). Sous ce travestissement stylistique, néanmoins, les passages retenus sont suivis d’assez près : le fléchissement de Mona, par exemple, est une traduction fidèle (en « langue Prigent ») du texte original.xxxv
Plus loin, Prigent met en scène le questionnement identitaire à travers la parodie d’un épisode de Perceval, avec la grand-mère dans le rôle du noble chevalier. « Pas neuf, le gag » (GMQ, 174), donc, mais le texte de départ est ici considérablement augmenté dans une amplification bouffonne qui en déploie les potentialités comiques.xxxvi L’interrogation qui commence comme suit s’étend sur près de deux pages :
T’es qui, dit Grand-mère par espièglerie, toi qu’on voit passer parmi le lopin ? Quoi comme galopin ? […] Suite de l’interpelle : qui t’es, chiffonnier ? Nomme-toi, petit pomme ! Parle ! Déclare matricule ! Arbore abattis avec numéro ! On t’appelle qui ? Courage le Kiki ! (GMQ, 173-174)
Au lieu des trois noms mentionnés par un Perceval plutôt sûr de lui, la réponse du « Bibi déconfit » s’étend comiquement par une prolifération délirante des identités :
Grand-mère, je sais pas. [...] Chiffonnier c’est moi. Romano pareil. Galopin souvent. Untel par temps d’inadvertance. […] Pot’ coz ou Vri-tongn péjoré Vri-lous parmi les Bretons. Et, ad libitum : Monfils, Monfiston, Monfi, Lefrangin. C’est d’un compliqué, tout ce dérapé des identités ! Sans compter les suites, paraît, même après. Mon ci ou mon ça (chéri, con, vieux, amour, cochon, salaud, lapin…). Papa si j’ose le pas. Tonton par induction. Patron, rêvons-pas. Maestro, c’est trop. Papy on se calme. (GMQ, 174-175)
Dans Demain je meurs, le conte du Graal fournit la trame d’un autre récit de rencontre : celle des futurs parents du narrateur. Ici Prigent emprunte au conte également sa langue, la parodie se doublant donc d’un pastiche d’ancien français. Chrétien de Troyes donne l’incipit : « ce fu au tans qu’arbres foillissent et le oisel en lor latin au matin cantent doucement. » (DJM, 302). S’ensuit une série de substitutions comiques : Emilienne dans le rôle de Perceval « guerpit sa maison » pour « querre un ostel u herbergier ». Dans le rôle de la « veve dame » on trouve « Dame vedve Bœuf, nee Juliette Larose », propriétaire de l’appartement à louer, où Emilienne rencontre le beau « bachelier Aimé, l’ueil bloi, meche blonde en bataille». Un second hypotexte se glisse alors à la suite du premier : il s’agit toujours de l’histoire du Graal, mais dans la version de Robert de Boron, à qui Prigent emprunte quelques formules pour conter l’ « enamorment » d’Aimé et d’Emilienne.xxxvii
Sur le même principe, l’entrée en scène de Louis Guilloux (p. 171) transpose et réagence les éléments d’un hypotexte célèbre : l’évocation des visites de Swann au début de la Recherche du temps perdu.xxxviii En faisant passer le verbe « arroser » d’un emploi figuré au sens propre et en l’associant aux « rosiers » évoqués plus loin, Prigent remplace « le grelot profus et criard qui arrosait […] de son bruit ferrugineux, intarissable et glacé, toute personne […] qui le déclenchait en entrant « sans sonner » » par : « qui tire la cloche, il prend toute la flotte des rosiers en voûte qui ornent au-dessus. ». Au geste que fait la grand-mère (chez Proust) pour réarranger les rosiers, comparé à celui d’ « une mère qui, pour les faire bouffer, passe la main dans les cheveux de son fils que le coiffeur a trop aplatis » fait écho cette remarque sur la chevelure du visiteur : « Sonne donc, le clampin, c’est shampoing gratuit : ça fera pas de mal à ta tignasse. ». Si Prigent allège ironiquement la phrase proustiennexxxix, dans l’annonce de l’identité du visiteur il allonge au contraire l’épisode :
C’est le pillouër, l’arsouille, le clodo, avec sa bouffarde et sa grande écharpe genre Aristide Truc, le roucouleur nul pour les parigots. » Mais encore, Mémé ? « Vous savez bien qui : çui qui pose bohème et pond du bouquin sur le populo pour divertir les aristos.xl
L’accueil est singulièrement dégradé par rapport à celui que l’on réservait à Swann : au lieu d’une grand’tante « toujours heureuse d’avoir un prétexte pour faire un tour de jardin » et « parlant à haute voix » par politesse pour le visiteur, c’est une grand-mère qui « file bouder sur ses botocoats dans son officine, avec ronchonné en parler breton sur les fréquentations ». Et au lieu d’un narrateur allant dire « qu’on apportât les sirops » : « Maman renfrogne sec : faut sortir les tasses. » Dégradation, aussi, dans l’apparence du « client » : « cache-nez de rapin, longues mèches Jésus-Christ ou façon artiste en sous-préfecture […]. »xli Enfin, précision intéressante : Prigent affirme n’avoir aucunement pensé au texte de Proust en écrivant ce passage.xlii

Une autre facette de l’intertextualité est celle qui a trait à l’identité générique des œuvres convoquées. Le passage de Grand-mère Quéquette constitué d’une juxtaposition de débuts et fins de tragédies de Racinexliii met en évidence la durée tragique (une journée) choisie comme cadre formel du roman. De même, la parodie d’une formule du préambule des Confessions de Rousseau (« Je connais mon cœur : il plie, il s’étrécit. […] Et je sens les hommes : ils puent. », GMQ, 317-318) renvoie à la pratique d’une « écriture-confession », à laquelle le personnage de Trochon se livre effectivement dans ces pages. On retrouve ce phénomène d’auto-commentaire par la référence indirecte à un genre dans Demain je meurs avec l’allusion, au sein de la réécriture du Perceval, à la Farce de Maître Pathelin.xliv Cet hypotexte secondaire fait sens ici en tant que référence au genre de la farce (intermède divertissant entre les pièces sérieuses) et à la parodie de languesxlv, exercice auquel Prigent se livre à cet endroit du roman.
Enfin, l’intertextualité présente parfois une dimension que l’on pourrait qualifier de « stratégique » : c’est le cas lorsque, par un effet de pudeur, la parole pathétique est déléguée à l’hypotexte. Dans Demain je meurs, la cruauté prend ainsi souvent le masque de la parodie, comme dans l’aveu  de masochisme par « Héautontimorouménos »xlvi interposé :
Exposons pensées qu’il eut dans sa tête. […] Elles braillent dans ta voix, les criardes. Elles instillent poison dans ton sang. Elles sont la plaie et le couteau, la joue et le soufflet. T’as lus ça où donc ? Et tu te vois toi en moche au miroir où ces mégères te regardent. (DJM, 139)
Dans un esprit voisin, la chanson de Brel « Ces gens-là » vient apporter en sourdine à la scène du repas de « fête » chez les grands-parents une charge supplémentaire de pathétique et de noirceur :
Pas un pipe un mot. Bonsoir le bonsoir. Même pas un « te v’là ». […] Ou t’as oublié. […] Ils sont tous en train de goinfrer la soupe, au moins dans ta tête. Glou glou, slurp, gargouilles, au moins en écho dans ton cyclotron qui touille du pas bon. Ils disent rien, ils lapent, ça fait une cadence, voire une mélodie. Et tic-tac l’horloge comme basse continue. (DJM, 129)
Ultime détour,  la réécriture burlesque du conte breton de « Fantic Loho ou le linceul des morts »xlvii forme une digression qui, par la conversion du macabre en bouffonnerie, met à distance le tragique et désolennise la fin du livre. Pour autant, il ne s’agit pas d’une greffe totalement incongrue, car cette réécriture fait ainsi une place, à la fin du roman, à la matière régionale à laquelle Edouard Prigent (père de Christian) s’est intéressé à la fin de sa vie. La parodie burlesque est donc un détour paradoxalement pudique pour parachever le portrait du père, et le lui dédier, cette histoire de linceul servant de prologue à la dédicace finale :
Si Aimé criait […] : « Rends-moi mon linceul », tu lui rendrais pas : il n’y en a pas, tout fut consumé. Pourtant tu le rends, d’une autre façon : linceul c’est ce livre, on dira plus tard, on dira peut-être. (DJM, 356)

Grimant l’autre en soi-même ou retaillant le costume d’autrui, l’auteur de Grand-mère Quéquette et Demain je meurs jouit de « la puissance d’être à la fois soi et un autre»xlviii. Dans les cas de réécriture massive, il joue de toute la gamme des procédés caractéristiques des « genres officiellement hypertextuels » que sont, selon la terminologie genettienne, le travestissement burlesque, la parodie stricte, le pastiche satirique et le pastiche héroï-comique.xlix Mais l’intertextualité est aussi présente sous une forme plus diffuse. Souvent singulièrement composite et stratifié, le substrat intertextuel n’est pas formé uniquement de textes « suffisamment connus »l pour que le lecteur puisse percevoir tous les effets de réécriture. Tantôt ostentatoire, tantôt discrète voire quasi secrèteli, l’intertextualité dans les romans de Prigent établit une relation subtile aux modèles, les dimensions ludique (« carnaval des chefs-d’œuvre »), esthétique (goût pour l’hétérogène) et culturelle (brasser la mémoire de la littérature) du recyclage des textes n’étant nullement incompatibles avec des enjeux affectifs. L’écriture bricoleuse de Prigent porte ainsi la trace de multiples bibliothèques dont le caractère disparate est précisément ce qui, pour lui, fonde la paradoxale justesse de cette cacophonie.

i Christian Prigent, quatre temps, rencontre avec Bénédicte Gorrillot, Paris, Argol (Les Singuliers), 2009, p. 153.
ii Ibidem., p. 182.
iii Cf. DJM, 329,238, 339  et GMQ, 213.
iv Selon l’analyse développée par M. Bakhtine dans L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, trad. A. Robel, Paris, Gallimard – NRF (Bibliothèque des idées), 1972.
v Ne me faites pas dire ce que je n’écris pas, entretiens avec Hervé Castanet, Cognac, Cadex, 2004, pp. 46-47.
vi Cf. D. Sangsue, La Relation parodique, op. cit., p. 111. Dans le premier chapitre de son étude sur Rabelais, Bakhtine retrace l’histoire de cette tradition de la parodia sacra. Cf. L’Œuvre de François Rabelais…, op. cit..
vii « ils ne cessèrent pas d’adorer les démons, et les idoles d’or, d’argent, d’airain, de pierre et de bois », Apocalypse de Jean, 9.
viii « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre» ; « Tu ne te prosterneras point devant elles… ».
ix G. Genette, Palimpsestes, La littérature au second degré, Paris, Seuil (Poétique), 1982, p. 16.
x « N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde ! » (« Any where out of the world »).
xi « Quoi ! tandis que Néron s’abandonne au sommeil, / Faut-il que vous veniez attendre son réveil ? » ; « Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes ! », J. Racine, Britannicus, Paris, Gallimard, 1995, pp. 43, 126.
xii « Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi », Virgile, Les Bucoliques, I, v.1.
xiii Cf. Ch. Prigent, Salut les anciens / Salut les modernes, Paris, POL, 2000, p. 60.
xiv Ch. Prigent, Le Sens du toucher, Sainte Anastasie, Cadex, 2008, p. 18.
xv Cf. « L’incontenable avant-garde », entretien de Christian Prigent avec Fabrice Thumerel, disponible sur : www.libr-critique.com, série «Manières de critiquer», dossier «Avant-gardes, critique et théorie».
xvi « Le « moderne » ou même « l’avant-gardisme », ce n’est pas la table rase, c’est au contraire le lien maintenu (le lien amoureux : passionné et conflictuel) avec la culture, avec la bibliothèque : c’est l’idée du moderne qui véhicule et refonde la tradition. Naguère Jarry dialoguait avec Rabelais, Joyce avec Homère et Dante, Gadda avec Virgile, Ponge avec Lucrèce et Malherbe. Aujourd’hui Novarina dialogue avec la Bible. Verheggen avec Artaud. L’oubli du moderne est aussi oubli de cela et l’art post-moderniste a souvent transformé la profondeur substantielle de ce dialogue en un académisme de la citation et du collage superficiel. », Ch. Prigent, Ceux qui merdRent, Paris, POL, 1991, pp. 23-24.
xvii Cf. DJM, 181-189.
xviii « À Saint-Brieuc des Choux tout est plus ou moins bête,/ Et les bons habitants ont tous perdu la tête. », A. Jarry, « Saint-Brieuc des Choux », Ontogénie, Œuvres complètes, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1988, p. 25.
xix« Je naquis au Havre un vingt et un février / en mil neuf cent et trois. / Ma mère était mercière et mon père mercier : / ils trépignaient de joie. », R. Queneau, Chêne et chien, Paris, Gallimard (Poésie), 2008, p. 31.
xx On relève en effet de nombreux clins d’œil à ce texte : « on voit golgotha : Tour de France égale tour dur de souffrance où couronne d’épines c’est pneu avec clous. » (GMQ, 210) ; “on guette des gambettes qui bourrent des flancs métalliques en tenant mulet fort par les oreilles. » (GMQ, 226).
xxi « Un dimanch’ matin / (c’est l’été), / On s’est levé tôt, / on s’est s’coué. […] / On a mis sa bell’ / chemisette / Et sa culott’ bleue / la plus chouette. […] / Car c’est aujourd’hui / qu’on y va, / Avec maman, a / vec papa, […] Sur son trente et un / d’apparat. » (DJM, 147).
xxii « Un beau matin de Juillet le réveil a sonné dès le lever du soleil / Et j’ai dit à ma poupée faut te secouer c’est aujourd’hui qu’il pa-as-se », « Le défilé ».
xxiii « torsion du nez, arrachement des cheveux, pénétration du petit bout de bois dans les oneilles, extraction de la cervelle par les talons, lacération du postérieur, suppression partielle ou même totale de la moelle épinière», Jarry, Ubu roi, Tout Ubu, op. cit., pp. 123-124.
xxiv Dans DJM, la « leçon » de métaphysique sur l’âme, pp. 247-249.
xxv « « Qu’ai, qu’ai-je ? Qu’ai que c’est ? Quèque c’est ? C’est que ce ! C’est qu’c’est ! Sec, le sexe ! […] Qué qu’es te ? Quéquette ! » (GMQ, 177).
xxvi « Que rien par mon fait ne produise plus qu’émanations ou explosions ! » (GMQ, 151). Le « Rêve » de Rimbaud (inclus dans une lettre à Delahaye du 14 octobre 1875), commençait ainsi  : « On a faim dans la chambrée – / C’est vrai… / Émanations, explosions. ».
xxvii Jarry écrit : « Les genêts plus bénins, mais artificiellement renforcés d’abeilles. » ; les fougères « fourrées de pustules », Gestes et opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien, suivi de L’Amour absolu, Gallimard (Poésie), 1980, pp. 135, 136.
xxviii « Un hydrolat lacrymal lave / Les cieux vert-chou / Sous l’arbre tendronnier qui bave ».
xxix « l’âme bestiale ça sonne dans la cloche qu’ont dans leur bidoche comme bourdon farouche de cent sales mouches […] c’est très mauvais sang, vice et pourriture et peinture idiote » (GQM, 146).
xxx « Là où ça sent la merde, ça sent l’être », Artaud, « Pour en finir avec le jugement de Dieu ».
xxxi formules de En attendant Godot et de La Dernière Bande.
xxxii Christian Prigent, quatre temps, op. cit., p. 136.
xxxiii Ch. Prigent, Le Sens du toucher, op. cit., p. 22.
xxxiv A. Le Braz, La Charlézenn, Vieilles histoires du Pays breton, Rennes, Terre de Brume, 1999.
xxxv « Son sourire traviole, zygomatique crispe, elle moufte que rien en langue aux Blivet […]. Mais dedans : gamberge et méditatif. […] Mais on sent au fond comme un clapotis d’ondes de pourquoi-pas-après-tout-faut-voir : marquise de la mouise c’est pas si déchoir. » (GMQ, 126-127). Chez Le Braz : « Tout d’abord elle n’avait écouté les paroles de Kaour qu’avec ennui, le front plissé, l’air méfiant et sombre. Pais peu à peu elle y avait pris intérêt. Finalement, à l’idée de vivre parmi ces hommes simples, dans la grande forêt pacifique et profonde comme une église immense, son cœur s’était fondu. », La Charlézenn, op. cit., p. 34.
xxxvi L’épisode chez Chrétien tient en effet en une quinzaine de vers. En voici une traduction en français moderne : « Mais je t’en prie, apprends-moi par quel nom je t’appellerai. -Seigneur, je vais vous le dire : je m’appelle Cher Fils. – Cher Fils, c’est ton nom ? Je suis persuadé que tu as aussi un autre nom. -Seigneur, par ma foi, je m’appelle Cher Frère. –Oui, oui, je te crois, mais si tu acceptes de me dire la vérité, c’est ton vrai nom que je veux savoir. -Seigneur, je peux bien vous dire que mon vrai nom est Cher Seigneur. – Grand Dieu ! voilà un beau nom. En as-tu un autre ? – Seigneur, non, et jamais assurément je n’en ai eu d’autre. », Ch. de Troyes, Perceval ou le Conte du graal, trad. J. Dufournet, Paris, Garnier-Flammarion, 1997, pp. 55-57.
xxxvii Par exemple : « plus bele demisele que oncques fesist Nature » ; elle « l’enama molt durement en son cuer » ; « molt en fu liee » (DJM, 303). Cf. Robert de Boron, Le Roman du Graal, Paris, 10/18, 1981.
xxxviiiCf. Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard, 1965, pp. 17-18.
xxxix Prigent : « visite c’est pas souvent » / Proust : « Le monde se bornait habituellement à M. Swann, qui, en dehors de quelques étrangers de passage, était à peu près la seule personne qui vînt chez nous à Combray » ; Prigent : « Sonnette à la grille.» / Proust : « nous entendions au bout du jardin […] le double tintement timide, ovale et doré de la clochette pour les étrangers ».
xl Proust : « « Une visite, qui cela peut-il être ? » mais on savait bien que cela ne pouvait être que M. Swann ».
xli Proust : « on distinguait mal son visage au nez busqué, aux yeux verts, sous un haut front entouré de cheveux blonds presque roux, coiffés à la Bressant ».
xlii Ce qui donne à penser sur la puissance de certaines imprégnations, ajoute-t-il non sans beaucoup d’ironie (entretiens des 14 décembre 2012 et 7 janvier 2013 à Saint-Brieuc).
xliii « Début tragédie dès sauté du lit, épilogue compris : Quoi ? / mon souvenir ! Quoi ? / crime ! Oui je viens / Père ! Oui / payer tes bienfaits ! Oui / ta rage avec ! Viens, suis-moi / douleur ! Arrêtons / hélas ! » (GMQ, 24).
xliv Dont proviennent le terme de « tribouilleries » (p. 302) et la formule « Marmara carimari carimara » (p. 304).
xlv Pour tromper le drapier venu réclamer son argent, Pathelin simule la maladie et délire en plusieurs langues.
xlvi « Elle est dans ma voix, la criarde ! / C’est tout mon sang, ce poison noir ! / Je suis le sinistre miroir / Où la mégère se regarde. / Je suis la plaie et le couteau ! / Je suis le soufflet et la joue ! », Les Fleurs du mal et autres poèmes, Paris, Garnier-Flammarion, 1964, p. 99.
xlvii F-M. Luzel, Légendes chrétiennes de la Basse-Bretagne, Presses Universitaires de Rennes – Terre de Brume, 2001, pp. 369-372.
xlviii Baudelaire, « De l’essence du rire », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade, t. II., 1990, p. 643.
xlix Cf. G. Genette, Palimpsestes., op. cit., pp. 29-30.
l Genette remarque que l’œuvre parodique s’en prend « comme il va de soi » à des textes « suffisamment connus pour que l’effet soit perceptible », Palimpsestes, op. cit., p. 40.
li On trouve par exemple dans Demain je meurs des références au livre d’Édouard Prigent sur Louis Guilloux (Louis Guilloux, Presses Universitaires de Bretagne, 1971). Le titre du chapitre 8, « géographie pathétique », est une expression tirée de ce livre ; l’évocation de la vie d’Aimé enfant au lycée (p. 103) reprend un passage de la biographie de Guilloux par Édouard Prigent.