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jeudi 15 mai 2014

Christian Prigent, Presque tout (P.O.L, 1982-2002), par Fabrice Thumerel [Traversée Prigent #6]

 Christian Prigent, Presque tout (P.O.L, 2002)



Christian Prigent à Rome en 1979



Après Écrit au couteau (1993), Dum pendet filius (1997) et L'Âme (2000), Presque tout rassemble, dans une version remaniée et enrichie de deux inédits ("Le Voyage d'Italie" et "Un poète / un peintre"), les oeuvres du poète devenues aujourd'hui rares ou introuvables qui ont paru entre 1982 et 2001 : Journal de l'oeuvide (1984), Paysage, avec vol d'oiseaux (1982), À la dublineuse (2001), Notes sur le déséquilibre (1988), Un fleuve (1993) et Album de Commencement (1997).

Autoportrait carnavalesque à l'écriture duquel les modèles pictural et musical ont servi de moteurs, ce recueil déforme de façon burlesque la matière autobiographique qui le compose (souvenirs familiaux illustrés en noir et blanc, séjours en Italie et en Allemagne...). Inversions grotesques, mots-valises, homophonies, mélange des langues et registres ressortissent à une langue oralisée qui n'a de cesse de dégonfler les idéalismes et ruine la conception dominante de l'écriture littéraire et du langage comme expression de soi ou description du réel. Pour Prigent, ce réel n'existe qu'à travers le prisme de la langue (réel-en-langue).

L'écrivain possède une véritable palette et se réfère constamment à la peinture (notamment italienne, ou française contemporaine...) ; mais arrêtons-nous sur le traitement bouffon qu'il fait subir au paradigme musical classique. Dans Un fleuve, tout d'abord, la symphonie offre un principe de composition qui donne le ton à chacun des trois mouvements : allegro, adagio et andante. Le passage de l'allegro à l'adagio est le plus marqué : le vers, plus ample, retrouve la ponctuation ; le texte dont le registre est plus soutenu s'enrichit de références nobles et d'isotopies philosophique, scientifique et politique, créant au passage ce genre de mélange détonnant : "merdeux des crèmes d'Éros". Quant au second volet du diptyque À la dublineuse, il emprunte vaguement à l'art lyrique son "essai de voix" : le texte, indissociable de sa mise en voix, débute à chaque page ou à chaque section par une indication tonale ; le tout se referme sur une invitation à répéter le dernier mouvement ("da capo"), "V. (sortie de bain)". Seulement, il n'est pas question de rester sérieux : des notations comme "(chanté, gai)" et "hymne" alternent avec d'autres, moins conventionnelles, comme "(constipé)" et "(au jus !)", refrain du troisième temps.